ENTRETIEN AVEC NARGUESS MAJD

A l’Atelier d’Arketal, le 08 mars 2017

Diplômée de la Faculté de la marionnette de l’Université de Téhéran, Narguess MAJD a rejoint la compagnie PAPIERTHEATRE en 2008 et la codirige depuis 2011. PAPIERTHEATRE se consacre au théâtre de papier à travers des créations pour adultes et pour enfants, différents types de formations, des expositions, les Rencontres Internationales de théâtres de papier, festival consacré à cette technique, et un centre de documentation regroupant les articles historiques et les documents de la forme contemporaine de cet art dans le monde.

Raconte-nous ton parcours en Iran avant ta venue en France ?

J’ai étudié le théâtre pendant quatre ans à l’Université de Téhéran, en consacrant les deux dernières années à la marionnette. Après la faculté, j’ai commencé à travailler, sans parvenir à vivre du métier de marionnettiste. J’enseignais en même temps l’anglais et j’étais traductrice/interprète anglais/persan. Alors que j’avais été contrainte d’arrêter la marionnette pendant quelques années, j’ai été engagée comme interprète pour une compagnie allemande au festival de marionnette pour étudiants à Téhéran. La veille du début de mon travail, j’ai participé à la conférence d’Alain Lecucq sur le théâtre de papier. Trouvant cette technique fascinante, j’ai demandé à un interprète de me remplacer auprès de la compagnie allemande et j’ai participé au stage d’Alain. En 2008, je m’installais définitivement en France et intégrais la compagnie Papierthéâtre.

Comment est enseigné le théâtre de marionnette à L’Université ?

Aujourd’hui, les quatre années sont consacrées à la marionnette. De mon temps, les deux premières années étaient un apprentissage général des bases du théâtre. A la fin de la deuxième année, les étudiants choisissaient une spécialité parmi cinq, avec l’approbation des enseignants. La marionnette en faisait partie avec les techniques de bases : la gaine, la tige, le théâtre d’ombre, etc.. ainsi que la mise en scène du théâtre de marionnette, la scénographie, la construction… Désormais, une Maîtrise Marionnette est ouverte avec deux ans de formation supplémentaire.

Quelle tradition de marionnettes trouve-t-on en Iran ?

Il y a plusieurs techniques traditionnelles. La plus connue est une marionnette à fils jouée dans un castelet, accompagnée d’un Maître et d’un musicien à vue.

Le personnage populaire de Mobarak est un serviteur noir très vulgaire et outrancier, qui insulte son maître. C’est un personnage assez politique. Il est d’ailleurs noir pour représenter la figure de l’étranger qui peut ainsi critiquer le pouvoir à distance. Le manipulateur parle avec la « pratique » et parfois le personnage du Maître intervient hors du castelet pour répéter ses propos au public. C’est un théâtre populaire joué partout.

Le théâtre de papier s’est-il répandu en Iran ?

Le premier stage d’Alain Lecucq en 2006 à Téhéran, où j’ai découvert le théâtre de papier, a créé un intérêt pour la technique. Quelques stagiaires sont venus voir des spectacles lors des Rencontres internationales de théâtres de papier et certains marionnettistes ont créé des spectacles pour les éditions suivantes du festival. Nous enseignons de temps en temps à l’université de Téhéran. Nous avons dirigé un stage national de théâtre de papier à Abadan organisé par l’UNIMA iranien et l’Organisation des Zones Franches en Iran. Nous avons aussi dirigé un stage régional à Zarand dans la région Kerman. Après le stage national, l’UNIMA iranien a organisé un festival de théâtre de papier pour étudiant. La culture iranienne est très liée à l’image. Historiquement, le pays comptait de nombreuses imageries (miniatures, peintures dans des cafés…). La peinture contemporaine, le graphisme et la photographie sont aussi très présents et novateurs. Tout cela enrichit le théâtre de papier. Malheureusement, les marionnettistes iraniens, même les plus renommés, ne peuvent vivre uniquement de leur art.

Quelle importance la dramaturgie a-elle dans ta démarche artistique ?

C’est une passion dont j’ai développé l’étude au sein de la compagnie Papierthéâtre concernée par le sujet depuis longtemps. L’autre outil a été mes enseignements. J’ai trouvé une façon de faire, une manière pour travailler les textes. Cette recherche me passionne et j’essaie de l’avancer de plus en plus.

Je suis très concentrée sur ce travail de base de dégagement des points du texte avant même d’envisager le plateau. Pendant cette étape, je ne pense surtout pas à la technique ! Il s’agit d’abord de mettre en avant le sens pour qu’il soit ensuite transmis par la technique au spectateur.

Tu as travaillé pendant ce stage chez ARKETAL sur Les Contes philosophiques de Jean-Claude Carrière. Y a-t-il une dramaturgie spécifique au théâtre de papier ?

Sans me soucier de la forme théâtrale, je pars toujours de la même base de travail :
Qu’est-ce qu’on veut dire ? Pourquoi on veut le dire ? A qui on veut le dire ?
Une fois avancé sur ces questions, on arrive à : Comment on veut le dire ? C’est à ce moment-là que la technique et la forme deviennent importants. Penser à la forme dans les premières étapes empêche le metteur en scène d’aller loin dans la réflexion.

Les stagiaires ont eu cette proposition de textes par l’organisatrice du stage, la compagnie Arketal. Ce sont des contes assez courts et en même temps assez profonds pour une étude de six jours.

Ce qui est important pour le théâtre de papier c’est de faire une mise en scène détaillée avant de commencer à réaliser les décors et les personnages. On est obligé de faire un storyboard, semblable au cinéma, pour imaginer tous les personnages dans les différentes positions, ainsi que les détails et les actions de chaque scène. Tout doit être dessiné à l’avance pour éviter les erreurs et le superflu au moment de la construction.

Quel auteur aurais-tu envie de nous faire découvrir ?

C’est dur de répondre, parce que souvent je suis profondément touchée par le récit d’un auteur et non par l’ensemble de ses œuvres. Je pense que cela doit être lié à la particularité d’un texte. Je regrette que la riche littérature contemporaine iranienne soit moins connue et traduite que la littérature classique du pays. En même temps le but de mon travail sur « Un secret de rue », n’était pas de faire découvrir cette littérature contemporaine, mais de partager les sentiments, les circonstances, les décisions humaines et leurs conséquences. C’est la similarité humaine qui m’intéresse et je trouve que la forme change selon la géographie et la culture, alors que le fond reste le même.

Lorsque tu ne te consacres pas au théâtre de papier, qu’aimes-tu faire ?

Parfois la vie est faire du théâtre de papier jour et nuit ! En France on vit de nos métiers, mais le travail ne cesse jamais ! Et encore, je dois avouer que je ne m’occupe pas de l’administration !

J’aime beaucoup lire et quand je peux je joue de la clarinette, mais depuis mon arrivée en France, j’ai beaucoup moins de temps pour le faire. En réalité, l’occasion est devenue rare !

Interview réalisée par Emilie Garcia